Déjà connue (Avery, 2008, p. 185, cat. 54), cette représentation de l’Amérique s’insère parmi les singulières « machine allegoriche » issues du si original et énigmatique esprit créateur du sculpteur vénète Francesco Bertos.
D’une typique structure pyramidale, le marbre se compose d’une base circulaire sur laquelle se répartit, autour d’une sorte de tronc d’arbre, la représentation d’une scène qui, si elle n’est pas violente, est pour le moins curieuse. D’un côté nous avons un jeune homme nu à moitié allongé, le bras droit levé, la main tenant un poignard, assis sur une « lucerta » (ainsi que Cesare Ripa dans son Iconologia définit ce que la critique appelle généralement un « crocodile », c'est-à-dire l’attribut canonique de ce continent), qu’il vient de frapper mortellement, devine-t-on, comme pour la punir de la mort de l’enfant étendu à ses côtés ; de l’autre, en revanche, un autre enfant, nu et debout brandit des pierres que, dans un élan primitif, il s’apprête à jeter à la figure féminine (dont la main gauche tient ce qui était probablement autrefois un pieu pointu, la droite étant posée sur la partie visible d’un arc), juchée sur l’épaule d’un robuste barbu, lequel, un pied posé sur l’enfant mort et l’autre sur la jambe du jeune homme au poignard, brandit de la main gauche une sorte de bâton, tandis que l’autre, émergeant des plis d’un drapé tombant, soutient en s’appuyant sur sa colonne vertébrale la jeune femme déjà mentionnée. Face à lui, une autre figure masculine en pied, la jambe gauche bien tendue et posée à terre, la droite, au contraire, légèrement levée, est représentée tirant de la main gauche un pan de la draperie, tandis que la droite, le bras légèrement plié, semble serrer aussi une pierre légèrement acérée.
Faisant probablement partie d’une série d’allégories des continents – dont à notre connaissance subsiste seulement la représentation de l’Afrique (Avery, 2008, p. 185, cat. 53) – la sculpture ici présentée doit être comparée tant pour affinité stylistique que de composition au groupe de même sujet conservé, avec bien d’autres, au palais royal de Turin (idem, p. 183, cat. 50). Même si les différences entre les deux versions de l’Allégorie de l’Amérique sont évidentes, les tangences ne sont pas négligeables, par exemple entre la figure du jeune homme allongé avec le poignard de l’œuvre piémontaise et le nôtre : la pose est en fait la même, la description des traits physionomiques (le nez aquilin, les oreilles, le dessin des lèvres, etc.), comme le modelé de la musculature. Un autre point commun est en outre la figure du personnage debout avec la jambe droite levée et retenant de la main gauche le drapé de la figure féminine située au sommet de cette pyramide. Cette figure est importante dans la composition, car c’est la seule qui regarde vers le spectateur.
Comme on le sait, ce furent ces travaux ainsi que ceux réalisés en bronze qui rendirent Francesco Bertos « uomo celebre... solo nell’arte di simil genere » (Alice Binion, La Galleria scomparsa del Maresciallo Von der Schulenburg, Milan, 1990, p. 127-128). L’importance de ces paroles, de cette précise définition, tient au fait qu’elle est donnée par les rédacteurs des catalogues de la collection du maréchal von der Schulenburg, un des plus importants collectionneurs d’art vénitien du XVIIIe siècle. Sa collection, une des plus renommées d’Europe, comprenait pas moins de douze œuvres de Bertos, ce qui en fait le sculpteur le plus représenté.
Maichol Clemente
Bibliographie
Charles Avery, The Triumph of Motion : Francesco Bertos (1678-1741) and the Art of Sculpture, Turin, 2008.
Cette délicate terre cuite, au canon allongé, rappelle le style du sculpteur franco-piémontais Francesco Ladatte, qui séjourne à Paris, faisant partie de la suite du prince de Carignan, remporte le prix de Rome en 1729 puis étudie à l’Académie de France à Rome. À nouveau parisien de 1734 à 1744, l’artiste est agréé à l’Académie en 1736 et en devient membre en 1741, présentant en guise de morceau de réception le groupe en marbre Judith (conservé au Louvre, esquisse en terre cuite au musée de Chambéry), d’une sinuosité très comparable à notre statuette. Nommé professeur adjoint, il expose régulièrement au Salon, travaille pour Versailles, mais l’œuvre la plus connue de sa carrière française est constituée des deux sculptures (en plâtre) ornant les autels du transept de Saint-Louis-en-l’Île à Paris, datées de 1741. En 1744, il s’installe définitivement à Turin, où il est nommé sculpteur de la cour, tout en continuant sa production de bronzes d’ornement, collaborant notamment, avec le célèbre ébéniste Pietro Piffetti, au cabinet de toilette de la reine, au palais royal de Turin. Le visage de notre personnage est très comparable à celui de la figure principale du groupe en terre cuite Le Triomphe de la Vertu, signé et daté de 1744 (Paris, musée des Arts décoratifs), ou bien aussi à celui de la gloire militaire, dans le groupe en bronze doré formant pendule Le Temps et la Gloire militaire (Turin, palais royal). Notre groupe serait donc à dater de la seconde période italienne de l’artiste.
Cybèle, considérée comme la mère des dieux par les Anciens, est une divinité du Proche-Orient, déesse de la fécondité (illustrée ici par la corne d’abondance), également vénérée par les Grecs et les Romains. Sa tête est couronnée d’une muraille rythmée de tours, et elle détient les clés de la Terre, donnant accès à toutes les richesses.
Jean-Louis Ajon fut à l’Académie de Toulouse l’élève de François Lucas pour la sculpture, et de Jean Suau pour le dessin ; en 1786 il est élève à l’Académie de Paris et fréquente l’atelier du sculpteur Bridan. La Révolution le surprend dans la capitale, où il participe à la démolition de la Bastille, avant de revenir dans sa patrie pour tenter le grand prix. C’est dans cette ville que se déroulera toute sa carrière, et l’on peut citer des travaux pour l’église de la Dalbade (baldaquin, sous la direction de Pascal Virebent, et en collaboration avec Beurné et Vigan), de Notre-Dame de la Daurade (une Vierge Noire en 1806, puis le retable devant accueillir la Sainte Epine , sur dessin de Virebent, dont subsistent deux anges adorateurs, en bois doré, en 1812), Saint- Nicolas (un groupe représentant Notre-Dame de Pitié), Saint-Jérôme(la chaire, d’après un dessin de Virebent)et à la cathédrale (le ravissement de saint Augustin, et quatre trophées). On connaît également de lui une statuette en terre cuite représentant le dieu Mars, dument signée et titrée (comme la nôtre), conservée au Musée du Vieux-Toulouse (voir le catalogue Toulouse et le Néo-Classicisme, les artistes toulousains de 1775 à 1830, musée des Augustins, 1989-1990, pp.124-125). Les deux anges de bois doré, et le Mars de terre-cuite montrent bien cette corpulence assez robuste que l’on retrouve dans notre Cybèle. De par sa formation académique, Ajon connaissait bien les grands antiques sans être allé à Rome : on peut ainsi invoquer le Mars Ludovisi comme ascendant de celui du Musée du Vieux-Toulouse, et pour notre statuette la Cérès Mattei (pour l’allure générale) et la Flore Farnèse (pour l’idée de relever un pan de toge). L’inventaire après-décès d’Ajon, découvert par Jérôme Bouchet, que nous remercions, aux Archives départementales de Haute-Garonne (archives de Me Prouho), dressé le 3 octobre 1843, mentionne de nombreuses statuettes en plâtre ou terre-cuite, soit à sujets antiques (« la mort d’Achille en plâtre prisée dix francs », « le cheval Pégase en plâtre prisé trois francs », soit à sujets modernes (« deux petites statues représentant deux joueurs de vielle en terre cuite prisées trois francs »), mais aussi des portraits, des arts décoratifs (« douze corbeilles en terre cuite prisées quinze francs »), et religieux (dont « une statue en bois représentant notre dame la noire prisée quatre francs », modello possible de l’œuvre de la Daurade ?), ainsi qu’ « une vierge en marbre ayant la main gauche appuyée sur un vase prisée quarante francs », matériau assez rare dans la production toulousaine.
Trois « statue en terre cuite représentant Cérès » sont listées dans cet inventaire, la première prisée cinq francs, les deux autres quinze francs chacune : peut-on envisager que notre Cybèle, pourvue d’une corne d’abondance pouvant évoquer la déesse des moissons, soit l’une d’elles, « victime » d’une erreur d’interprétation ? Rien ne permet de l’affirmer (l’inventaire ne donne aucune dimension, ne mentionne pas d’éventuelles signatures, on suppose donc que les œuvres citées sont de l’artiste), mais il est tentant de le suggérer.
Ce mascaron en bois polychrome à figure humaine, entourée d’un rang de perles, prise dans une large coquille et ornée de feuilles d’acanthe nous rapproche de l’aire géographique nordique et plus particulièrement de l’art de Johan Gregor Van der Schardt. Sculpteur né à Nimègue en 1530, Schardt fait un long séjour en Italie où il est documenté à Rome, Bologne et probablement Florence en 1560 puis à Venise en 1569. L’année suivante, il s’installe à Nuremberg où il travaille aux portraits en terre-cuite de Willibald Imhoff et de son épouse. Il se fait une spécialité de ces portraits en terre-cuite en développant des modèles en médaillons. De 1571 à 1576 il travaille pour Frédéric II de Danemark et pour l’empereur Maximilien II de Habsbourg. Il se réinstalle à Nuremberg en 1579 et crée son atelier.
Notre bas-relief décoratif en bois sculpté se situe plutôt dans l’entourage du maître en rappelant les formes fines et légères qu’il donne aux visages féminins comme dans le tombeau de Ingeborg Skeel (ca. 1545 – 1604) dans l’église de Voer à Vandsyssel au Danemark. On fera enfin remarquer que Van der Schardt a aussi participé à l’élaboration de l’épitaphe de la famille Rosenkrantz dans l’église d’Hornslet pour lequel les décors sont richement sculptés et foisonnants à l’image de notre mascaron.
Ce grand et massif bas-relief en marbre trouve sûrement ses origines dans la sculpture du Sud de la France à la toute fin du XVe siècle. La croix occitane qui figure sur l’écu du cavalier est le symbole rassemblant l’ensemble des régions parlant la langue romane, ce qui n’exclu pas quelques zones géographiques de l’Espagne (vallées de Catalogne) ou de l’Italie (vallées du Piémont italien). Cette même croix a toutefois été, du XIe au XIIIe siècle, l’emblème des Comtes de Toulouse avant de devenir le symbole de toute la région méridionale de la France comprenant la Provence, l’Occitanie, jusqu’à une partie de l’Aquitaine. C’est sûrement dans la partie Occitane de la France qu’il faut rechercher les origines de ce beau bas-relief.
Figures clés pour les débuts de la sculpture néoclassique en Italie, les frères Ignazio et Filippo Collino travaillent constamment en collaboration, signant presque toujours de façon conjointe leurs oeuvres. Si les documents et les sources les plus anciennes (par exemple Elogio del Collino, de Giuseppe Vernazzano en 1793) semblent donner une sorte de primauté à Ignazio, il n’est toutefois pas toujours facile de distinguer l’oeuvre des deux frères en l’absence d’un noyau d’oeuvres signées ou documentées isolément. Après un apprentissage chez le peintre Claudio Beaumont et le sculpteur Francesco Ladatte, Ignazio se rend à Rome en 1748, suivi en 1753 par Filippo. Là, les deux sculpteurs étudient chez Giovanni Battista Maini, se consacrant surtout aux copies d’antiques destinées à la cour de Savoie. Nommés académiciens de Saint Luc respectivement en 1760 et 1763, Ignazio et Filippo quittent Rome en 1767 pour rentrer définitivement à Turin où, devenus sculpteurs de la cour, ils réalisent des oeuvres dans lesquelles survivances baroques et innovations néoclassiques se mêlent de façon assez originale : citons à titre d’exemple le monument à Charles Emmanuel III de la basilique de Superga (1786), et les deux marbres représentant un prêtre et une prêtresse envoyés en cadeau en 1785 à Ferdinand IV de Bourbon à Naples (autrefois Londres, Heim).